Il n’y a pas si longtemps, notre société était encore rurale et s’alimentait des produits agricoles cultivés dans nos terroirs, avec un régime alimentaire à base de céréales (couscous, mermez, chakhchoukha…) agrémenté de légumes, pois chiches, plus rarement de l’ben, viande de mouton, huile d’olive vierge et des fruits locaux (figues, dattes, raisin…). C’est le régime méditerranéen, qui aujourd’hui perd du terrain du fait de l’évolution du mode de vie et de la mondialisation.
Notre propos ici porte sur la réflexion autour de notre nouveau modèle de consommation, issu des produits de l’importation. Est-il viable face à la difficile conjoncture économique qui s’annonce ? mais aussi est-il durable et adapté à notre santé ?
Quoi de plus normal que de souhaiter vivre selon le modèle mondialisé, qui s’avère être un modèle de sur-consommation des biens et services, qui éloigne inexorablement les nouvelles générations du modèle ancestral, celui vécu il n’y a pas si longtemps par nos grands-parents !
La vie a changé de façon irréversible, on ne pourra en aucun cas revenir en arrière, et les premiers à promouvoir cette façon de vivre « branchée » sont les jeunes générations, qui ont les yeux rivés sur le modèle planétaire, à travers les media (la télévision, Internet et ses réseaux sociaux de facebook, twitter…), et qui nous entraîne dans sa frénésie à une vie qui deviendra ultra-courte, ultra-superficielle, même si elle reste pavée de bonnes intentions.
Le monde est entrain de changer à une vitesse vertigineuse, à tel point qu’il y a une réalité qu’on ne voit pas : le modèle planétaire de sur-consommation n’est pas viable à terme, et il faudrait 2 ou 3 planètes supplémentaires pour répondre aux besoins de croissance de toute l’humanité ! en effet, les ressources surexploitées ne sont plus suffisantes en termes de matières premières, ressources hydriques, énergies fossiles, produits agro-alimentaires…
Notre modèle économique algérien ne fait pas exception à la règle, et sans se poser la question, tout le monde trouve légitime d’aller vers la sur-consommation, oubliant totalement l’impact écologique ! mais nous sommes entrain de nous rendre compte par contre que ce mode de vie génère de la malvie (sur-urbanisation, stress, maladies cardio-vasculaires, dépressions nerveuses, hypertension, diabète, cancers…).
Et si la crise économique qui vient à grands pas était pour nous un moyen de revoir ce modèle de (sur)consommation ? et si c’était l’occasion de revenir vers un modèle de sobriété et de consommation locale, de produits respectueux de nos traditions et de notre mode de vie typiquement de chez nous ?
Prenons la question agro-alimentaire, qui nous interpelle quotidiennement et sur laquelle nous pouvons agir !
Savons-nous ce que nous mangeons ?
Notre marché a considérablement évolué depuis une vingtaine d’années, passant d’une économie socialiste dans laquelle on ne trouvait que peu de choses mais d’assez bonne qualité, à une économie libéralisée, dans laquelle l’importation débridée permet de tout trouver sur les étalages, mais dont on ignore tout à propos de la qualité (chimique) des produits, du fait que le plus souvent on nous ramène les produits les moins chers du marché mondial.
On voit bien que le modèle qui prend de l’ampleur est celui de la mal-bouffe, surtout chez ceux qui ne prennent pas la peine (ou le plaisir) de cuisiner chez soi. Les fast-foods, les chawarmas, frites-omelettes, pizzas, sodas, les produits de base que sont le pain et le lait… que de produits importés finalement ! Sous forme de matières premières, ces aliments sont achetés au plus bas prix à l’international, à la qualité chimique fort discutable.
Voici les produits importés :
– Blé pour fabriquer essentiellement le pain blanc raffiné, le couscous (blanc), les gâteaux… les céréales utilisées pour cela sont importées des grands pays producteurs tels que la France ou le Canada, qui sont des pays qui utilisent le plus d’engrais chimiques et pesticides au monde !
– le sucre, importé à 100% est issu de l’agriculture chimique (betterave sucrière…)
– le lait en poudre, issu d’élevages intensifs nourris à l’ensilage de maïs-soja transgénique, qui necessite des intrants chimiques pour sa production
– les graines oléagineuses triturées sont importées à 100 % pour faire des huiles de tournesol, d’arachide, de colza, soja probablement tous OGM, tous produits à grands renforts de l’agriculture chimique
– les jus de fruits (orange, pomme, pêche, raisin, mangue, cocktails), dont la pulpe est importée, sont issus de fruits ultra-traités chimiquement
– le vinaigre conditionné dans des bouteilles en plastique, ne contient pratiquement que des produits chimiques artificiels (je vous invite à voir les étiquettes)
Les produits locaux sont généralement moins traités, quoique la situation est entrain d’évoluer à grande vitesse vers le tout chimique :
– la semoule de blé dur et l’orge sont de plus en plus traités aux engrais chimiques et herbicides pour doper la production, qui devrait doubler d’ici 2020 !
– les viandes blanches (poulet, dinde) et œufs : sont produits localement à partir d’intrants entièrement importés (maïs-soja très probablement OGM). De plus, les conditions d’élevage intensif ne respectent pas les normes et utilisent des additifs alimentaires à base d’antibiotiques et anti-stress, qui se retrouvent par la suite dans la viande et les œufs consommés.
– les légumes sont tous produits localement à partir de semences hybrides importées à 100 % ; l’utilisation de produits chimiques se généralise, surtout pour doper les monocultures (la tomate, pomme de terre, laitue, carotte…)
– les fruits sont généralement traités (particulièrement les fraises, raisin, pommes, poires, agrumes). A un degré moindre, on a des fruits passablement traités (dattes, prunes, grenade XXL*…). Les fruits les moins traités sont la figue, figue de barbarie, grenade M ou S*…)
* relatif à la taille
Ces constatations et réflexions nous ont amené à revoir notre mode de consommation et tenter de voir COMMENT CONSOMMER MIEUX ET GASPILLER MOINS!
Comment ?
Commencer par consommer local, en prenant bien soin de reconnaître l’origine et le mode de production des aliments.
1. Légumes et fruits : dans un 1er temps, on peut commencer par acheter des légumes de saison et éviter les super-légumes brillants cultivés sous serre. Acheter plutôt les légumes les moins beaux (et souvent les moins chers) du marché, les plus petits et qui semblent même touchés ou tâchés, mais qui restent tout à fait consommables et parfois d’un bien meilleur goût !
Dans un deuxième temps, il serait opportun de se rapprocher d’un agriculteur ou maraicher qui n’utilise pas de produits chimiques. Il est vrai qu’il y en a de moins en moins, tous sont maintenant convaincus de l’efficacité des poudres miracles qui arrivent à contrecarrer tous types de maladies, sans savoir que l’utilisation de tels produits peut se révéler dangereuse pour leur santé, celle du consommateur et de l’environnement.
Pour aller plus loin vers une consommation responsable et plus au fait des réalités de terrain, il est intéressant de s’engager dans l’expérience de l’Amap. Cette approche, même si elle démarre timidement en Algérie, consiste à nouer un partenariat entre un groupe de consommateurs et un producteur pour une livraison hebdomadaire de sa récolte qui sera distribuée sous forme de couffins. Ce qui est intéressant dans cette expérience, c’est que le consommateur est en contact régulier avec le producteur et qu’il cherche à l’accompagner dans son travail, ses difficultés pour arriver à maintenir ses activités paysannes. Il peut par exemple participer à la récolte, co-financer des micro-projets de plantation, d’arrosage au goutte à goutte etc….
A noter que le Collectif Torba a déjà mis en relation 2 producteurs avec une cinquantaine de consommateurs, mais tarde à trouver d’autres producteurs pour satisfaire la demande. L’appel est lancé ici pour voir dans quelle mesure nous pouvons nouer de tels partenariats gagnant-gagnant.
Une troisième solution pour consommer local et sain est celle de cultiver soi même ses propres légumes (ou une partie), sur une petite parcelle qui peut démarrer par 10 m2, sachant que nous avons expérimenté qu’une parcelle de 100 m2 peut nourrir en certains légumes une famille de 4 personnes ! * (c’est le cas pour les carottes, navets, poireaux, betteraves, en hiver, et bien sûr tomates, poivrons, fraises et haricots en été). Pour d’autres légumes, il faudrait avoir des surfaces 3 ou 4 fois plus grandes, particulièrement pour la pomme de terre, oignon, courgettes, fèves ou petits pois. Produire sa propre nourriture vivante est somme toute une expérience parmi les meilleures à vivre dans la vie ! Comment l’humanité et en particulier les urbains en sont-ils arrivés à négliger cette dimension de la vie qui apporte tellement de joie, de satisfaction, de plaisir à cultiver sa santé !
2. Céréales : il existe dans le commerce des produits locaux : couscous de blé entier, d’orge, du blé concassé tel que le fric, mermez ou bourghol, de la farine de gland ou de caroube (qui sont sûrement bio à 100 %). Pour les céréales en grain, le mieux est de s’approvisionner directement auprès de producteurs locaux. L’idéal est d’arriver à créer un genre de coopérative, qui fait des achats groupés (nous nous y attelons au Collectif Torba, mais restons ouverts à toute proposition…)
3. Légumes secs (légumineuses) : les fèves, petits pois et à un degré moindre les haricots verts vendus sur les marchés sont cultivés sans utilisation excessive de produits chimiques. Ils sont en outre faciles à cultiver (il suffit de disposer d’une parcelle de 200 m2 pour nourrir toute une famille en cette denrée riche en protéines végétales).
4. Laitages : on en consomme trop (la moyenne nationale est de 160 litres/habitant, alors qu’au Maroc ou Tunisie, elle ne dépasse pas les 80 l/hab, dû au fait que le lait en sachet est fortement subventionné en Algérie. Le lait local existe sous forme de pack, ou vendu fermenté (l’ben). De grandes marques nationales se sont même spécialisées dans la production de lait de vache local. Ça serait bien de vérifier que les animaux soient en outre nourris au paturage et supplémentés à l’orge et non à l’aliment industriel composé de maïs-soja (OGM).
Attention, si vous achetez directement chez l’éleveur (à la ferme), veillez à ce que les animaux soient contôlés indemnes de brucellose et tuberculose, qui sont des maladies animales transmissibles à l’homme (certificat sanitaire vétérinaire à jour). A noter que selon certains nutritionnistes, il faudra privilégier le lait de chèvre au lait de vache ! Ce qui est sûr, c’est qu’il est utile de consommer moins de lait !
5. Viande blanche et œufs : privilégier le poulet local nourri aux céréales locales ! Donc bien vérifier ce que donne l’éleveur à ses poules. Ou sinon, dans la mesure du possible, faire son propre petit élevage.
6. Viande rouge : En consommer avec modération pour sa santé (sachant qu’il faut 9kgs de céréales pour produire 1 kg de viande) ; privilégier le mouton local nourri au paturage et engraissé aux céréales locales (l’orge principalement).
7. Huiles : privilégier l’huile d’olive locale, première pression à froid. C’est vrai qu’elle coûte plus chère que les autres huiles de commerce, ce qui amène le consommateur à en utiliser moins et ce n’est que meilleur pour la santé ! Il est possible de commander de l’huile d’olive en vrac couterait moins cher.
8. Sucre : en consommer moins, et à remplacer en partie par le miel ou le sucre de dattes. On a tout à gagner à diminuer voire abolir le sucre de notre consommation.
Nous connaissons tous l’adage qui dit qu’après les 40 ans, il faut diminuer pour sa santé les 2 blancs (le sucre et le sel). Je serai tenté d’ajouter les 4 blancs (et farine blanche et lait de vache) !
Nous voyons bien que ce n’est pas évident pour les urbains de consommer local et sain, ça exige toute une remise en question de notre mode d’approvisionnement. Consommer responsable pour sa santé et celle de notre environnement demande tout d’abord une prise de conscience des enjeux et de faire attention à ce qu’on achète. Ça demande aussi de s’organiser éventuellement en famille ou en groupe pour s’approvisionner en produits locaux de qualité. C’est toute une nouvelle culture qu’on nous invite à adopter et ce n’est que petit à petit qu’on arrivera à revenir vers une nourriture saine, responsable et respectueuse de la vie paysanne. Quelle satisfaction de savoir que l’on consomme sain, responsable, qu’on est un citoyen militant pour une cause écologique, qui sera certainement prise en compte à l’avenir, avant qu’il ne soit trop tard !
L’avenir sera écologique ou ne sera pas !
Paru dans le Blog Nouara Algérie, n° 1 en Ecologie & Environnement
http://www.nouara-algerie.com/2016/08/et-si-revoyait-notre-modele-de-consommation.html